Au Pérou, il y a un dicton: “El que no tiene de Inga, tiene de Mandinga” (celui qui n’a pas d’inga – origine andine – a du mandinga – origine africaine). Reconnu mondialement pour avoir été le grand empire du Tahuantinsuyo, gouverné par les Incas – les créateurs du Machu Picchu-, personne n’imagine que le Pérou est aussi un pays d’ascendance africaine.

Et ce n’est pas seulement une vision extérieure. À l’intérieur du pays aussi, en général, tout le monde n’a pas conscience de la façon dont les racines africaines sont vivantes dans le quotidien. Des racines historiquement syncrétisées, pour survivre au système esclavagiste. Le Pérou compte donc aussi, comme d’autres pays de l’Amérique Latine, une histoire noire invisibilisée.

Femme noir / Photo : Eugene Courret – Archive Photographique Courret de la Librairie Nationale du Pérou

Bien qu’une langue commune, un Dieu ou une vision du monde particulière africains n’aient pas survécus, les Péruviens ont une croyance ferme au Seigneur des Miracles (dont l’image originale a été peinte par un esclave angolais) et à San Martín de Porres, un saint noir.

Dévoués du Señor de los Milagros – Lima 2015 / Photo : Milena Carranza

Par exemple, beaucoup de fêtes se terminent obligatoirement par un festejo -danse afro-péruvienne-, et une cuisine, sans le carapulcra, les anticuchos ou les picarones – traditionnellement cuisinés au sein des communautés noires du Pérou – n’est pas imaginable. Dans le football, Alianza Lima est l’une des équipes les plus aimées et une grande partie de ses joueurs est afro-péruvienne. Autre exemple, le Pérou est le seul endroit au monde où la valse est jouée en syncope, avec le cajón, un instrument à percussion créé par les Afro-péruviens.

Alianza Lima 1967 / Photo : ArkivPeru

Une présence depuis le XVIème siècle

On dit que, plus de 100 000 Africains ont été emmenés depuis le 16ème siècle à la Vice-royauté du Pérou, de l’Angola, de la Guinée, du Sénégal, de la Gambie, du Mozambique, du Congo et du Ghana. Le Pérou était alors le centre de la colonie espagnole en Amérique avec le Mexique. Au 17ème siècle, on recensait même plus d’Africains que d’Espagnols à Lima, la capitale.

Cependant, dans la Constitution de la République du Pérou, les Afro-péruviens n’existent pas actuellement en tant que peuple, et ne jouissent pas de droits spécifiques tels que les populations d’origine, les andines et les amazoniennes.

Historiquement, ils s’installent le long de toute la côte, dans les fermes de coton et de canne à sucre, et dans les villes pour le travail domestique, mais aussi dans les Andes (où ils ont laissé une marque importante) pour le travail acharné dans les mines. Au fil du temps, la population a considérablement diminué.

Des milliers de personnes sont mortes au cours de la guerre d’indépendance contre l’Espagne (1811-1824) et des années plus tard dans la guerre contre le Chili (1879-1883). La crise économique permanente du pays, la migration massive vers la capitale à la recherche d’un travail et le métissage, ont contribué à l’exode de ce peuple des régions d’origine et à leur invisibilisation.

Aujourd’hui, sur 31 millions d’habitants, près d’un million s’identifie comme afro-péruvien, soit 3,6% du pays. La plupart vivent maintenant à Lima, avec d’autres districts représentatifs tels que Yapateras, dans le département de Piura (au nord, presque à la frontière avec l’Équateur) et El Carmen, à Ica (au sud, où se trouvent les célèbres lignes de Nasca).

En 1821, avec la déclaration d’indépendance, José de San Martín a décrété la liberté du ventre, ce qui signifiait que les enfants des esclaves naissaient désormais libres. Ce n’est qu’en 1854 que l’abolition de l’esclavage aura lieu. Près de deux cents ans plus tard, bien que nous vivions toujours dans une société profondément raciste, nous pouvons dire que d’importantes victoires ont été remportées, mais il reste encore beaucoup à faire.

Pièce du théâtre “Duelo en Malambo” – Lima 2014 / Photo : Milena Carranza

Journée de la Culture Afro-péruvienne

Des victoires remportées nous pouvons parler de la déclaration du 4 juin comme la Journée de la Culture Afro-péruvienne, fait en 2006 par le Congrès en hommage à la naissance de l’emblématique artiste et intellectuel Nicomedes Santa Cruz, appelé “le poète des Amériques” par Léopold Sedar Senghor. En 2014, tout le mois de juin a été déclaré comme le Mois de la Culture Afro-péruvienne.

Nicomedes Santa Cruz / Photo : Carlos “Chino” Domínguez

En 2010 le ministère de la Culture est créé et avec lui le vice-ministère de l’Interculturalité, qui a la Direction de Politiques pour la Population Afro-péruvienne. Du département de Chiclayo, au nord, en Zaña (ancienne village noire), le Musée Afropéruvien est à la pointe de la gestion culturelle, permettant entre autres de rendre la zone visible dans le cadre de la Route de l’esclave de l’UNESCO.

Lors du dernier recensement national, en 2017, la variable ethnique est incluse pour la première fois, c’est-à-dire la question de savoir comment chaque personne s’identifie. Par exemple, qu’elle soit afro-péruvienne ou noire, ou selon les autres origines partagées dans le pays. Ces données officielles permettront désormais aux ministères de développer enfin des politiques publiques pour éliminer les écarts sociaux, économiques, éducatifs et sanitaires de la population afro-péruvienne, fruit de l’esclavage et de l’indifférence des gouvernements ultérieurs.

En 2017 aussi, c’est un but de Jefferson Farfán, un Afro-péruvien, qui a ramené au Pérou à la Coupe du Monde de football 2018, après 36 ans. Un film sur sa vie est récemment sorti au cinéma.

Aujourd’hui, bien qu’il y’ait une identité nationale péruvienne, il y a de nombreuses éléments à prendre en compte. Il y a ceux qui se reconnaissent comme afropéruvien.n.e.s, en choisissant de rendre leurs racines africaines visibles; il y a ceux qui défendent le terme noir.e, afin de ne pas faire de différence quand ils se disent péruviens; et il y a ceux qui mettent l’accent sur la mise en évidence de son origine afro-andine, cette puissante union qui symbolise le lien historique entre les Africains et les natifs de ces terres, deux des gardiens d’une partie de la sagesse ancestrale du monde.

Milena Carranza Valcárcel
Author: Milena Carranza Valcárcel

Peruvian photographer, cultural manager and activist, based in France since 2018. Convinced that "babaláwo cannot divine without Òsun because, as Wande Abimbola argues in his essay, her Eérìndínlógún is the source of their Ifá."