« Il n’y a aujourd’hui que deux Noirs qui peuvent raconter l’horreur du nazisme et des camps. Il y a Marie Nejar [une actrice née en 1930] et moi. » confiait Theodor Michael Wonja au journal Le Monde en mai 2018. Son témoignage, l’homme, aujourd’hui âgé de 94 ans, le partage dans Allemand et Noir en plus ! : un ouvrage poignant qui retrace ses souvenirs de rescapé du nazisme.
Des zoos humains aux camps de concentration
Né à Berlin en 1925 d’un père camerounais, arrivé en Allemagne sur un coup de tête autour des années 1900, et d’une mère allemande, Theodor Michael est envoyé dès son enfance dans des zoos humains (Völkerschauen). Des espaces où l’on exhibe ce que la société européenne s’imagine comme l’image de l’homme primitif. Theodor Michael est déguisé en tenue « sauvage » pour paraître plus « authentique » auprès des spectateurs curieux qui vont jusqu’à lui parler « en nègre », le toucher et le renifler. C’est pourtant un allemand, comme eux. Parallèlement, des films comme Schwarze Schmach (La honte noire) voient le jour. Ils viennent appuyer une rhétorique raciste et réveiller le patriotisme allemand « souillé » par la défaite de la Première Guerre mondiale face à une armée française majoritairement composée de soldats noirs.
C’est dans ce climat de haine qu’Adolf Hitler arrive au pouvoir, en 1933. Theodor n’a que 8 ans. C’est l’enfer qui étend sa profondeur. Les lois de Nuremberg de 1935 dépossèdent Juifs, Noirs et Tziganes de leurs droits fondamentaux. Les mariages mixtes sont formellement interdits. Le jeune Theodor qui se voyait déjà intégrer les Jeunesses hitlériennes apprend qu’il ne fait plus partie du « peuple » (das Volk). Malgré ses bons résultats, il est exclu en 1937 du lycée Kant de Berlin où il suit le cycle primaire. Le nazisme met fin à toute perspective d’avenir professionnel. Pire, en 1940, Theodor est déchu de sa nationalité allemande et devient apatride. Les nazis l’enverront au printemps 1943 en camp de travail forcé, dans une usine de fabrication de munitions. Les conséquences de cette mise à l’écart portent atteinte à sa santé mais il échappera à la « stérilisation forcée » subie par les Noirs Africains sur la demande d’Hitler.
Se reconstruire dans l’Allemagne d’après-guerre
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, le nazisme s’effondre. Theodor Michael a 20 ans. Son identité et ses perspectives d’avenir ont été fragilisées par les épreuves traversées. Le chemin vers la reconstruction semble encore long et les autorités ont peu d’égards pour les descendants des anciens colonisés comme révèlent leurs propos repris dans la biographie de Theodor : « Nous n’avons plus de colonies, depuis 1919 déjà. Qu’avons-nous à faire avec ces gens ? Qu’ils retournent d’où ils viennent. » Partir ? Cela n’a pas de sens pour Theodor Michael. Certes, son père lui avait toujours parlé du Cameroun comme d’une « patrie ». Mais le Cameroun n’était pour lui qu’une idée abstraite. Sa vie se fera chez lui, en Allemagne où une porte déterminante va s’ouvrir.
Après quelques années dans le monde du théâtre, la Fondation Cogestion de la Confédération des Syndicats allemands lui octroie une bourse pour étudier, d’octobre 1958 à octobre 1960 le droit, la sociologie, l’économie politique et l’économie d’entreprise à l’Académie d’économie sociale de Hambourg. Theodor obtient son diplôme et concentre ses recherches sur l’Afrique qui entre justement dans la phase de décolonisation. Il étudie dans la capitale française à l’Institut des Hautes Études d’Outre-Mer où il découvre l’importance du mouvement de la négritude, à travers notamment Leopold Sédar Senghor et Aimé Césaire. Et surtout, il entre pour la première fois en contact avec une diaspora noire et retrouve enfin qui il est : « Tout aussi importants étaient les échanges avec les « hommes de couleur ». Ils me considéraient comme un des leurs et j’avais moi-même ce sentiment d’appartenir à leur groupe. J’avais enfin de nouveau la terre ferme sous mes pieds ».
Retraité depuis 1987, Theodor Michael Wonja est activement engagé contre toute forme de racisme et de discrimination. Il est devenu un médiateur entre individus et cultures mais aussi un modèle pour la nouvelle génération afro-allemande en quête de reconnaissance.