Si vous êtes un adepte d’Instagram et passionné d’art contemporain, vous avez déjà sans doute aperçu son travail. Sa série d’images animées en collaboration avec la photographe Meddina Dugger, n’a pas fini de faire le buzz sur le réseau social photographiques.
François Beaurain est un artiste plasticien multifacette français basé à Paris. Ses pratiques incluent la photographie, le collage et la sculpture. Globetrotter et épris de multiculturalisme, François entretient un lien privilégié avec le continent Africain et principalement avec le Nigéria, le Maroc et le Libéria, trois pays où il a vécu et qu’il affectionne particulièrement. François est principalement connu pour ses images animées (appelés gifs ou encore cinémagraphes) qui amène une vision décalée du continent Africain. Son travail a été exposé dans de nombreuses institutions et festivals internationaux comme Guggenheim Bilbao, Lagos Photo ou Festival Circulations. De son passage en Afrique de l’Ouest, François garde une fascination et une passion pour le cinéma et plus particulièrement Nollywood. François collectionne les affiches de cinéma Ouest-Africain, mais les utilise aussi comme matière première pour ses collages.
Rencontre avec l’artiste qui expose prochainement dans Monrovia Animated à la Maison de l’Afrique.
Bonjour François, comment vas-tu ?
Un peu chaudement ces jours-ci à Paris, mais ca va bien, merci.
Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je suis un photographe et plasticien basé à Paris. La majeure partie de mes projets sont en rapport avec le continent africain, principalement le Nigeria, le Liberia et le Maroc (les pays où j’ai résidé tout simplement). Je suis venu assez tardivement au monde l’art. J’ai travaillé d’abord comme scientifique dans un laboratoire puis comme ingénieur dans la lutte contre le changement climatique. Ma reconversion vers le monde l’art a été assez brutale et cela je le dois à un séjour au Libéria qui m’a profondément transformé, et l’Afrique est désormais ancré au coeur de ma pratique artistique.
Comment es-tu arrivé dans l’univers des GIFS ?
Comme toutes les découvertes, c’est arrivé un peu par hasard. C’était au tout début de l’année 2014, je venais de m’acheter mon premier boîtier pro et j’ai commencé à expérimenter le mode rafale de l’appareil. Tout d’un coup j’ai vu les images s’animer sur l’écran et j’ai commencé à faire mes premières animations avec les gardes du compound, puis avec les voisins, puis avec les gens du quartier, en s’écartant toujours un peu plus loin de ma zone de confort. A l’époque j’étais encore terrifié à l’idée de sortir avec un tel appareil dans certains quartiers et de demander au gens de poser pour moi. Ces premiers gifs sont donc pour moi une sorte de défi et un apprentissage de la photographie de rue au Libéria.
Bien que peu connectés au monde extérieur, les libériens ont conscience de l’image que les médias leur font porter, ils se méfient des photographes en général. J’ai n’ai reçu que des retours positifs de la part de libériens au sujet de “Monrovia Animated”, on m’a plusieurs fois remercié d’avoir amené ce regard pétillant sur le Liberia, loin des clichés généralement véhiculées par les médias.
Comment qualifierais-tu ton travail dans une démarche artistique?
Mon travail artistique s’articule autour de la remise en cause de mon eurocentrisme. L’essentiel de ma pratique artistique date de mon arrivée en Afrique et de la déconstruction des idées reçues dont j’étais imprégnées au sujet de ce continent. Dans “Monrovia Animated” je remets en cause l’image que porte l’occident sur l’Afrique, avec mes collages Nollywood, je remets en cause l’hégémonie culturelle occidentale (Hollywood), dans “les Villas” j’interroge le cliché orientaliste des villes marocaines etc…
Es-tu familier avec le qualificatif de digital art ? Peux-tu nous en dire plus.
Mon travail sur les gifs peut effectivement être qualifié d’art numérique. Ma spécificité par rapport à la plupart des autres artistes digitaux est de rester ancré dans la réalité. Je travaille à partir d’images/films que je tourne moi même dans la rue. En fait j’utilise le numérique pour les effets spéciaux plutôt que pour avoir un rendu à proprement dit numérique. C’est un peu comme le cinéma nigérian, j’utilise le digital pour introduire un peu de magie, pour rendre visible l’invisible, pour transcender le réel.
Ton travail est répétitif, c’est une forme d’expression qui te caractérise beaucoup. Tu ne suspends pas le temps, ni ne l’arrête. Tu le répètes tout en dupliquant tes protagonistes. Trompe l’oeil?
C’est effectivement quasi une constante dans mon travail, on retrouve des motifs ou des répétitions dans mes gifs, mes collages et de temps en temps dans ma sculpture. Adolescent, j’ai été très fortement marqué par le travail de E.C. Escher, plus tard dans mes études je me suis retrouvé à étudier les marcromolécules biologiques (ADN, protéines… ) où la répétition joue un rôle clé dans la structure (polymérisation..) mais aussi dans les techniques pour les étudier (cristallographie). Cette culture scientifique a clairement formaté mon esprit. A première vue, je n’étais donc pas forcément fait pour l’Afrique, car je rappelle pour un occidental l’Afrique est synonyme de chaos, il y perd ses repères et comme il n’y comprend rien il le décrit comme primitif. A mon arrivée au Libéria, j’ai découvert les affiches de cinéma collés en rang d’oignon dans la rue, j’ai commencé à décrypter que derrière le chaos apparent de la rue se cache une organisation sociale complexe, j’ai découvert la géométrie des coiffures afro, des wax etc… bref j’ai découvert de l’ordre au milieu de ce soit-disant chaos et je me suis accroché à ce fil directeur. Le gif doit être pour moi le moyen de satisfaire mon esprit rationnel et d’identifier, extraire et mettre en valeur les motifs des personnages qui constituent la rue.
Tu captures essentiellement des scènes de la jeunesse africaine (Nigeria, Liberia). Est-ce un choix délibéré ou est-ce simplement un constat éloquent lorsque l’on se balade dans les rues d’un pays africain: sa population est extrêmement jeune.
Je travaille essentiellement avec des modèles “recrutés” dans la rue au hasard des rencontres. La population urbaine de Lagos et Monrovia est jeune mais il y a effectivement un biais dans la représentation. Cela vient du au fait qu’il me faut des gens disponibles qui ont du temps à perdre (des enfants principalement) et que les femmes sont généralement plus réticentes à se laisser filmer (ou plus occupées).
On est tout de suite épris d’un sourire la première fois que l’on découvre d’un travail. Sachant que le Libéria a connue une guerre dévastatrice qui est restée dans l’imaginaire commun , était-ce un parti pris de transposer sur image ce que les médias ne montrent pas? Une certaine gaieté et une vie qui suit son cours?
“Monrovia Animated” est volontairement positif, ce projet a été créé pour contrebalancer les images négatives qui collent à la peau de ce pays. Par exemple, le gif #077 child soldier est un pied de nez à l’image de l’enfant soldat véhiculé par les médias. Il a été réalisé suite à une rencontre avec les gens de Vice magazine qui sont responsables d’un des pires documentaires que je connaisse sur ce pays. D’un autre côté, j’ai essayé de ne pas tomber non plus dans l’autre écueil qui consiste à avoir des images niaisement trop positives (“pauvres mais heureux” par exemple).
Pour comprendre ce que dégage “Monrovia Animated”, il faut revenir sur sa genèse et remettre le projet dans son contexte. De mon point de vue, j’ai déjà expliqué plus haut que mon défi était d’aller toujours plus loin dans les quartiers et de faire des gifs de la vie quotidienne. Du point de vue des libériens, ma présence est surprenante (les expats sortent généralement peu de leur 4×4), je me promène dans la rue à pieds et je leur demande de faire des choses bizarres comme courir le long d’un escalier par exemple. En 2014, la notion de photographie digitale était encore complètement étrangère pour la majeure partie des libériens, ils se sont donc prêtés à un jeu sans forcément comprendre la finalité de mes images. “Monrovia Animated” est donc le fruit d’une rencontre improbable, il y a un côté expérimental dans ce projet qui le rend plus frais.
Mes essais de refaire de telles images dans d’autres pays d’Afrique ont été différentes, pas forcément moins réussies, mais clairement pas aussi pétillantes.
Tu collectionnes aussi des affiches de films nigérians et libériens. Peux-tu nous en dire plus ?
J’ai découvert le cinéma nigérian à mon arrivée au Liberia. Il était partout, omniprésent sous forme d’affiches placardées sur les murs de la ville. J’étais fasciné par cet univers visuel riche et varié sans équivalent. J’ai commencé à acheter des affiches et à me documenter sur Nollywood. Au-delà de cet univers visuel nouveau pour moi, la découverte d’une culture populaire aussi riche (plus de 15000 films en 15 ans) et aussi méconnue en occident a eu l’effet pour moi d’un électrochoc. Chaque séjour en Afrique de l’Ouest est pour moi l’occasion de découvrir un peu plus cet univers. Je me suis mis à collectionner les affiches papier, celles nécessaires à mes collages, mais aussi à collectionner les affiches de cinéma peintes à la main. J’ai aussi commencé à me rapprocher des acteurs de cette industrie, à les interviewer et à écrire mon premier article à ce sujet.
Si on te dit Little Africa, tu penses à ?
A une couleur chaude, au jaune de sa couverture… Après plusieurs années en Afrique et de retour à Paris, je suis curieux de découvrir la communauté africaine de Paris. Je compte sur ce petit guide pour m’accompagner dans mes premiers pas.
Ton actualité des prochains mois?
L’exposition “Monrovia Animated” à la Maison de l’Afrique du 16 septembre au 31 Octobre 2016. Je pense aussi retourner cet hiver en Afrique de l’Ouest (Liberia, Sierra-Leone et Nigeria) pour travailler sur des projets liés au cinéma. Je retourne là-bas aussi pour compléter ma collection d’affiches. J’aimerais avoir une collection assez vaste pour pouvoir raconter l’histoire de Nollywood (et de ses petits frères Libérien, Sierra-Léonais) sur une période de trente ans.