Artiste franco-camerounaise, Beya Gille Gacha s’inspire de sa multiculturalité pour créer ses sculptures et installations. Derrière ses œuvres se cachent toujours une réflexion, un regard sur le monde, une aspiration à un monde meilleur. Rencontre avec l’artiste.
Bonjour Beya Gille Gacha, comment vas-tu ?
Bonjour. L’été est là alors tout va très bien !
Raconte-nous un peu ton parcours. Comment t’es-tu lancée dans le milieu artistique ?
A corps perdu !
Plus sérieusement, j’ai toujours trop pensé et, comme si cela ne suffisait pas, j’ai toujours eu un besoin vital d’exprimer mes pensées. Par conséquent, comme les mots me manquaient lorsque j’étais petite, et que mes réflexions n’étaient pas toujours les bienvenues, j’ai commencé à écrire et dessiner. Je me créais facilement un monde imaginaire, et je cherchais à le restituer, surtout pour qu’on puisse me comprendre.
J’ai tout de même eu la chance de grandir dans un environnement favorable au rêve et au développement du sens créatif.
Un souvenir remonte à la surface en écrivant : j’avais peut-être 7 ans, et ma mère m’avait emmenée chez une psychologue pour comprendre d’où venaient mes idées et mes questionnements incessants, mon caractère rêveur et turbulent, ainsi que mon refus quasi constant d’obtempérer docilement. Le seul souvenir que j’ai gardé de cette visite, qui fut la seule, est lorsque la psychologue m’a tendu un papier, des crayons, et m’a dit avec un sourire : « Dessine ». J’ai dessiné et ai fait abstraction de tout le reste. C’est donc par nécessité d’abord, puis poussée par mon environnement, que je me suis lancée dans l’art.
Pour ce qui est du milieu artistique, c’est bien plus tard, évidemment. J’ai d’abord fait un lycée d’art appliqué et ce n’est que là que j’ai découvert la puissance des arts plastiques sur ma personne ; grâce à eux je me suis sentie libre, ils m’ont pris et possédé. Après le BAC, je n’ai pas cherché à faire d’école d’art, mais j’ai souhaité enrichir ma culture et suis entrée à l’Ecole du Louvre. Mais il y a toujours eu trop de choses qui m’intéressaient, et il a fallu que je me concentre sur ce qui me transcende vraiment : la création ; sans compter le fait que la méthodologie recherchée par l’École se mariait mal avec mon esprit dispersé. J’ai donc arrêté l’École du Louvre au bout de deux ans et ai monté mon association, NÉFE, afin de créer avec d’autres artistes, et diffuser la création.
Comment définis-tu ton art ?
Je définis mon art de beaucoup de manières… Si je devais n’en citer qu’une, je dirais que la fonction que je lui préfère est de pousser à la réflexion sur soi et sur le monde, à la recherche d’un équilibre et d’une justice, afin de s’harmoniser.
Plastiquement, ma production relève du mélange de différentes iconographies et influences esthétiques. J’utilise les codes d’un certain classicisme, africain, européen mais pas que, et différents symbolismes. Même si j’utilise la représentation humaine et le réalisme, il reste assez conceptuel.
Pourquoi le perlage ? Quelle est sa symbolique ?
Premièrement, j’ai grandi entourée d’œuvres perlées bamiléké, ethnie dont je suis héritière par ma mère. Le mobilier artisanal et les œuvres issus de ce peuple ont toujours fait partie de mon environnement. La perle est donc un matériau que je considère comme m’ayant toujours accompagné.
La révélation par rapport à l’utilisation du perlage dans mon art provient d’un voyage au Cameroun en 2009 et la découverte d’une action clé d’une de mes tantes au Cameroun, au sein de son ONG “La Fondation Gacha” : celle de perpétuer l’art traditionnel du perlage. Ainsi y a été établi un atelier de perlage dans lequel des jeunes femmes sont formées à créer des objets en reprenant la technique ancestrale (celle qui, par sa longévité, peut notamment s’apprécier à Paris au Musée du Quai Branly, sur la sculpture de la Reine Bansoa).
Je fais donc de la perle une histoire d’héritage et de famille ! Pour la symbolique, le perlage à la base était utilisé pour exhiber sa richesse et son pouvoir. La perle était un matériau rare et cher, ainsi les familles royales, les notables et les nantis en paraient le maximum de leur mobilier, de leurs attributs et de leurs accessoires. Comme il me plait de dévoyer les codes, j’ai décidé d’utiliser la perle afin de mettre en valeur la richesse de l’être vivant, de l’être humain. Il s’agit donc de parler de richesse immatérielle, de mettre en avant que la vie d’un être a une valeur qu’il nous est interdit de négliger.
Le choix des couleurs est très important dans le milieu artistique. Pourquoi choisis-tu de faire prédominer le bleu dans tes œuvres en perles ? Pourquoi avoir choisi le noir et le rouge pour ta sculpture « Venus Nigra » ?
L’utilisation du bleu suit d’abord la même logique que l’utilisation de la perle. J’ai pris la connotation du bleu au sens de la noblesse : le tissu royal bamiléké (ndop) étant bleu, et l’image française du sang bleu soit noble. Mais il s’agit de valoriser la noblesse d’âme, et rappeler que toutes les âmes sont égales.
D’un autre côté, le bleu est une couleur qui reste belle sur tout son nuancier. Utiliser des perles bleues comme peau de mes œuvres me sert à souligner que toutes les carnations sont belles.
Le bleu est également un clin d’œil à l’Egypte, de par le bleu égyptien, premier pigment synthétique connu de l’humanité.
Bien que je privilégie donc le bleu, il arrive que je conçoive des œuvres pour lesquelles j’userais d’autres couleurs, car la symbolique de celle-ci fait sens. C’est en effet le cas de Venus Nigra, qui est perlée de noir. C’est une œuvre dont les choix plastiques et esthétiques portent eux également une multitude de significations, mais pour ce qui est de l’utilisation du noir, cela est très simple : c’est la vénus noire. Je jongle constamment entre complexification et vulgarisation !
Elle est donc noire, d’un noir qui ne se trouve finalement dans aucune peau humaine, mais qui fait d’elle à la fois une allégorie et un objet précieux. Cette sculpture symbolise premièrement le mal-être de nombre de femmes africaines dans le cadre international : ressentir d’être une femme dont la valeur ne serait limitée qu’à l’usage de son tronc, alors qu’elle, comme tous et toutes, est un être fait de richesses fabuleuses.
Le rouge est quant à lui de la cire, il représente la chair à vif de ses membres amputés : les bras dont on ne reconnaît pas la valeur des actes, et la tête dont on réfute la valeur de la pensée. Il y a le plus souvent dans ma démarche la production d’une pensée écrite avant la conception de l’objet et cette oeuvre est accompagnée d’un texte un tant soit peu féministe.
Quel(s) message(s) veux-tu exprimer à travers tes œuvres artistiques ?
J’ai un but personnel qui serait d’atteindre un équilibre, ce but va de pair avec cette quête de justice qui m’obsède malgré sa vanité. Il me semble que le monde manque d’obsédés de la justice ! Quoi qu’il en soit, mes œuvres répondent toujours à des problématiques actuelles. Je relève les incohérences humaines et systémiques, les iniquités, les inégalités mais je témoigne également du beau, du sublime, je parle aussi d’espoir. Et je n’approfondis une idée sortie de mon imaginaire que si je ressens qu’elle correspond à un besoin ressenti par d’autres, ou peut apporter des réponses à d’autres. Je ne peux pas imaginer mon art inutile.
Plus qu’exprimer, je veux inspirer à travers mes œuvres d’autres manières de percevoir le monde et d’interagir avec lui, l’objectif étant de tendre vers ne serait-ce qu’un mieux.
On peut remarquer que tu es une artiste engagée. Selon toi, comment l’art peut faire avancer des problèmes sociaux et sociétaux ?
Certaines œuvres ont permis de mettre en avant des réalités éclipsées et de questionner la société. Je pense à une toile de Turner, The Slave Ship, qui, au-delà d’être devenue une œuvre témoin de l’histoire, a créée l’émoi et reste une des plus grandes œuvres de l’artiste. L’art, lorsqu’il est engagé, agit selon moi comme un révélateur. Il impose l’image de ce qu’on ne sait pas voir ou de ce qu’on ne veut pas voir. Il force à faire face à des vérités (ou tout simplement à en découvrir), il pousse à prendre conscience et sensibilise. Etre sensibilisé à une problématique est une première étape, et elle est d’une importance capitale.
Quelles sont tes inspirations et influences ?
Elles sont nombreuses, voire innombrables ! Le monde m’inspire, l’humanité m’inspire. Ce qui me nourrit est la lumière, le merveilleux, le beau. L’injustice et l’abjection sont mes sources intarissables de création …
Les sentiments et rapports humains ainsi que leurs conséquences dans le monde sont ce sur quoi je travaille le plus en ce moment. Ma série « IDENTITÉS #1 » présente l’héroïsme, celle « Symboliques de démembrements » aborde davantage la perversion et la violence.
Dans mon écriture, ce sont la philosophie, la spiritualité, ainsi qu’une forme de romantisme à la fois naturaliste et idéaliste, qui me porte. Les périodes classiques et antiques, leur symbolisme et leur poésie m’influencent iconographiquement. J’aime les mêler avec des sources d’inspirations artistiques plus actuelles. Je suis en fait plus inspirée et influencée par des domaines d’étude ou des courants de pensée en général que par des individus précis.
Quels sont tes projets à venir ?
Je développe le second opus de l’exposition DES GOSSES, montée avec les artistes Baye Dam Cissé et Neals Niat. En tant que jeunes artistes afro-descendants, nous prévoyons une série d’expositions qu’on conçoit davantage comme des actes artistiques. L’idée est de mettre en lumière cette jeunesse noire née en Europe, qui a du mal à trouver une place, autant dans les sphères africaines qu’européennes.
Artistiquement, je suis en période de création, je travaille souvent sur plusieurs séries en même temps. J’ai plusieurs sculptures en cours, mais également des projets videos et d’écriture. Après Douala et Marrakech en début d’année, j’exposerai en mai à Dakar dans un group show en OFF de la biennale, puis à la Banque Mondiale de Yaoundé. Cette année est Africaine et j’espère que cela va continuer!
Suivre l’artiste:
Web: www.beyagillegacha.com/
Facebook: Beya Gille Gacha
IG: @beyagillegacha
Anne-Carole Dacoury-Tabley – Contributrice Little Africa