Artiste pluridisciplinaire ivoirien, Aboudia est né en 1983 à Abidjan. Il suit des études au Conservatoire des Arts et Métiers d’Abengourou, puis au Centre Technique des Arts Appliquées de Bingerville avant d’intégrer l’Institut National Supérieur des Arts et de l’Action Culturelle d’Abidjan d’où il sort diplômé en 2007. Peintre cosmopolite, il partage son temps entre la Côte d’Ivoire et les États-Unis. Ses oeuvres portent la voix des enfants des rues d’Abidjan et développent une réflexion sur la société actuelle. Loin des stéréotypes, Aboudia représente le monde à travers le regard de ces enfants.
Les mots de l’artiste
Bonjour Aboudia, tout d’abord merci pour cet entretien.
Pourquoi travailler sur les enfants des rues ? Que représentent-ils pour toi ?
Ça s’imposait à moi. L’écriture est venu du fait que je voyais des dessins dans la rue. Je voyais des enfants dessiner sur les murs. Je me suis approché d’eux et j’ai découvert que c’était leurs rêves qu’ils peignaient et comme on avait un peu la même histoire, cela s’est fait naturellement. D’autre part, leur écriture est un peu différente de ce qu’on voyait d’habitude. Ça m’a inspiré. C’est ainsi que l’idée m’est venue de travailler sur les enfants.
De manière plus vaste, que symbolise l’enfance à tes yeux ?
Je ne sais pas comment dire. L’enfant représente tout. Tout part de l’enfance : l’éducation, la formation, la connaissance. C’est le pilier du développement d’une société civilisée, moderne et plus réfléchie. Les enfants représentent l’avenir, l’espoir, la relève de ce monde.
J’ai lu que tu te perçois comme un observateur, qu’entends-tu par-là ? Ton travail est-il un témoignage ?
L’observation c’est vague. Être avec les enfants de la rue, connaître leurs mots et parler de leur éducation … prendre leurs problèmes dans la rue et l’amener dans la salle pour les rendre visibles, que les personnes soient sensibles ou pas à la cause des enfants, voilà l’objectif. Mon travail n’est pas un témoignage, il éclaircit … il montre simplement ce que ces enfants endurent dans la rue que ce soit négatif ou positif. En toute chose, il y a du positif et du négatif. Il faut pouvoir être au milieu et essayer de dépeindre tout en faisant une bonne critique de la situation.
Dans tes dernières œuvres tu as inclus des éléments rapportés, d’où viennent-ils ? Qu’est-ce qu’ils signifient ?
Les éléments rapportés viennent de partout, de la rue, des magasins … On est dans une société de consommation, donc il faut essayer de trouver au hasard des événements des nouveaux éléments, parce que pour moi l’art est une recherche de nouvelles sensations. Cela implique de chercher partout et nulle part. Il y a toujours un peu partout des éléments que l’on peut transformer pour améliorer ce que l’on fait.
Il semble également que l’écriture et les mots occupent une place importante dans ton travail. Pourquoi ?
Pas seulement les mots et les écritures. Tout ce qui concerne la peinture tient une place importante pour moi. Dans la mesure où l’artiste est considéré comme un éducateur, c’est-à-dire dans le sens où avec la peinture il dépeint ce qui se passe autour de lui pour le montrer à des gens qui ne voient pas forcément la même chose. Le pourquoi … c’est aussi une manière pour moi d’exporter ma langue maternelle et ma langue paternelle, que ce soit l’agni ou le dioula. Ces enfants aussi écrivent souvent sur les murs : « si j’avais été à l’école je serais docteur » « si j’avais si … j’achèterais une voiture ». Donc c’est un peu ces écritures là que je transforme dans ma langue pour agrémenter ou apporter un nouvel élément à ce que je fais.
Le souffle de la rue
Les oeuvres d’Aboudia ne donnent pas une image idéalisée de l’enfance. Elles témoignent de l’actualité : les migrations, les espoirs, la jeunesse et la rue. Cette dernière tient un place particulièrement importante dans son travail. La rue irrigue toute son oeuvre, que ce soit par la technique avec l’emploi dans certains tableaux de la bombe de peinture ou par l’esthétique avec une référence nette au street art et aux graffitis. Ce dernier élément explique le parallèle souvent fait entre le travail d’Aboudia et les oeuvres de l’artiste underground américain Jean-Michel Basquiat. La rue chez Aboudia, c’est aussi le nouchi, langue et culture des quartiers populaires d’Abidjan. L’argot nouchi se retrouve dans les tableaux du peintre à travers de nombreuses inscriptions, qui lui permettent d’exprimer avec plus de force les rêves des enfants des rues. Ces derniers sont figurés à travers des silhouettes squelettiques avec des visages aux dents omniprésentes. Loin de l’image idyllique véhiculée par les médias, Aboudia illustre ainsi la violence à laquelle ces enfants doivent faire face et qui émane parfois d’eux. C’est également une référence aux dessins de ces mêmes enfants, des dessins bruts, libres et colorés. Aboudia crée des oeuvres bruyantes de couleurs, qui nous entraînent dans un univers hallucinatoire à travers un “vibrant chaos expressionniste” pour reprendre les mots de son galeriste Ethan Cohen. Les corps se dissolvent et sont réduits à leur plus simple expression dans des compositions denses signifiant ainsi l’absence de reconnaissance sociale des enfants des rues d’Abidjan. L’atmosphère opaque et impénétrable des oeuvres d’Aboudia évoque le chaos des grandes villes, leur énergie, celle des enfants également.
fb : Aboudia peintre
instagram : aboudia6
site : www.aboudiart.com
Cindy Olohou