Berlin, le 3 mai 2019. Nous sommes en route pour rencontrer Joanna Schröder aka Legid. Etoile montante de la scène photo, la jeune femme a récemment fait l’objet d’un article dans l’édition allemande du magazine Vogue. Née au Rwanda d’une mère rwandaise et d’un père allemand, la jeune femme a grandi au Burkina Faso et étudié à Paris, avant de rentrer en Allemagne poursuivre une carrière dans la photo. Elle a travaillé avec Nike et Desigual, Blonde magazine et photographié des mannequins comme la Britannique Adwoah Aboah.
« Être noire en Allemagne, c’est… intéressant », Joanna Legid
À notre arrivée au Café Engel, c’est plongée dans l’ouvrage du photographe espagnol Rubén H. Bermúdez que nous la trouvons. Intitulé And you ? Why are you black ? (Et toi ? Pourquoi es-tu noir.e), ce roman autobiographique raconte l’histoire de l’auteur à partir d’une enquête sur les origines de l’esclavage en Espagne.
« J’adore ce livre surtout par rapport à son contenu » nous confie Joanna. « Il est très simple, très visuel avec beaucoup d’images connues et de références à l’histoire des noirs pendant l’esclavage, mais aussi des références musicales ou venant de la culture pop. Les seuls textes qu’il contient sont des extraits de l’histoire de l’auteur. Des scènes de sa vie, où on sent bien le racisme. »
Ses commentaires sur l’ouvrage constituent une excellente transition vers un échange sur la diaspora noire à Berlin, et plus généralement en Allemagne. Joanna se confie : « Être noire en Allemagne, c’est… intéressant. Même en étant allemande, tu ne te sentiras jamais comme telle parce que les Allemands te feront toujours comprendre que tu ne peux pas être noire et allemande. Le racisme existe aussi à Berlin, mais il n’est pas subtil comme en France. Ici, tu sauras toujours qui va te « faire chier » et qui va te laisser tranquille… La question favorite des Allemands est : « Wo kommst du wirklich her ? » qui signifie « Et d’où viens-tu vraiment ? » Une question qui peut être blessante pour un.e métisse né.e et ayant grandi en Allemagne.
“Mais il y a aussi un côté positif : je ressentais plus de racisme dans la vie de tous les jours à Paris, qui est pourtant une ville plus multiculturelle que Berlin. Oui, je suis différente mais comparé à Paris les gens me laissent tranquille à Berlin. Je me sens plus libre de vivre ma vie sans qu’on me rappelle tous les jours que je suis noire… ou marron… ou beige. » Elle sourit.
HeartWork donne la parole aux minorités
Depuis le 6 juin, Joanna Legid a co-fondé avec Anna K. Baur HeartWork, une plateforme où l’on retrouve des portraits, entretiens et témoignages d’hommes et femmes issus de l’immigration vivant en Allemagne. Pour ces deux femmes métisses, HeartWork est un porte-voix des « sans voix ». Journalistes, acteurs, artistes ou encore cadres y racontent en toute liberté comment ils ont trouvé (ou pas) leur place au sein d’une société allemande qui tend à les stigmatiser. On peut y découvrir de nombreuses histoires dont celle de Ben Andrew Rumler, jeune acteur afro-allemand de 19 ans, qui raconte recevoir souvent des demandes pour des rôles de trafiquant de drogue. Une fois, il a accepté la proposition, mais promet qu’on ne l’y reprendra plus. À présent, il est très attentif au script. Si le rôle donne une mauvaise image des minorités, ou sert à nourrir des stéréotypes, il le rejette systématiquement.
HeartWork donne la parole aux minorités
C’est pour sortir de l’ombre leurs histoires personnelles et collectives que Joanna et Anna ont lancé HeartWork. Pour les deux femmes, c’est évident : il faut casser les clichés qui collent à la peau des personnes d’ascendance africaine et autres minorités du pays. L’heure est venue de mettre en lumière un pan de la société que l’on ne voit quasi jamais dans les médias mainstream allemands.