Né en 1982 dans la province de Limpopo en Afrique du Sud, à la frontière du Botswana et du Mozambique, Nelson Makamo est un portraitiste autodidacte. Il réalise des portraits graphiques et expressifs des gens qui l’entourent et qu’il rencontre, notamment des enfants. Tout comme Pieter Hugo, il mène à travers ses oeuvres une réflexion sur la génération post-apartheid et son état d’esprit. L’Afrique du Sud est sa première source d’inspiration. Ses oeuvres sont le fruit d’une vie de voyages et de nombreux séjours entre l’Afrique du Sud rurale et la bouillonnante métropole de Johannesburg. Il revendique dans ces portraits sa fierté d’être sud-africain et souhaite changer la vision que les gens ont du continent. Son objectif est de représenter la jeunesse avec fierté afin d’inviter ainsi les gens à échanger. Cette invitation au dialogue est une manière d’affirmer la présence des enfants, à travers des portraits éloquents, dans la construction d’un récit national. Au sein d’un monde où comme le dit Adriano Mixinge « les discours de pouvoir deviennent toujours histoire », il est essentiel pour Nelson Makamo de donner sa vision de l’Afrique du Sud, et du continent, tout d’abord pour se connaitre, puis pour construire l’avenir. La démarche de l’artiste mêle intimement histoire personnelle et histoire collective.
Icônes de la nouvelle génération
Peindre les enfants est une manière pour Nelson Makamo de questionner l’avenir, puisque c’est durant l’enfance que se façonne l’adulte de demain. Pour ce faire, il figure des enfants très expressifs et sûrs d’eux. Le style graphique de l’artiste donne du dynamisme aux compositions et rythme les œuvres. Les touches de couleurs participe de cet effet. Les cadrages rappellent bien souvent la photographie, ce qui renvoie au processus créateur de l’artiste.Nelson Makamo s’exprime à travers les lignes. Elles reflètent des états d’esprits : les désillusions d’une génération ou au contraire une volonté de faire face malgré la dureté la vie.
L’histoire n’a pas besoin de grande mise en scène pour être présente dans les oeuvres, il suffit parfois d’un déplacement, comme chez Nelson Makamo : la figure de l’enfant habituellement représentée en tant que victime du monde des adultes devient force d’action. L’artiste ne cherche pas à représenter une innocence utopique, il veut peindre des enfants maîtres de leur avenir et force d’action.
Nelson Makamo prend des fragments du réel et en fait les nouvelles icônes d’une société qui se ré-approprie son histoire, parce que l’enfance définie qui nous sommes aussi bien que l’histoire a conduit à l’être que nous sommes. Ces deux dimensions sont entrelacées.
Le dialogue des émotions
Cette reconquête de l’histoire ne peut se faire sans communication. Avec ses portraits, Nelson Makamo souhaite ouvrir la porte aux échanges, afin de briser le silence au sujet du passé. La problématique de la langue est au coeur de sa réflexion. Les gens ont été programmés pour ignorer leur histoire, leurs cultures, leurs langues. La plupart des Sud-Africains maîtrisent mieux l’anglais que leur propre langue maternelle. Le langage lui-même à des implications politiques, puisque c’est celui du colon. À cela s’ajoute le fossé entre le discours historique officiel, enseigné à l’école et celui transmis oralement dans les villages. Quand la parole ne remplit plus son rôle de conciliatrice, il faut revenir au moyen de communication le plus universel : les expressions du visage.
Les émotions sont communes à tous, elles peuvent donc remplir le rôle de médiateur que la langue n’est pas en mesure d’assumer. Les enfants sont bien plus expressifs que les adultes, c’est pourquoi Neslon makamo choisit de les représenter. Ils sont également plus libres dans leur perception du monde. À travers ces visages d’enfants, l’artiste fait dialoguer les émotions. De la réalité au mythe, les portraits de Nelson Makamo sont à mi-chemin entre l’individuel et l’universel. Les portraits sont très individualisés mais ils évoquent des émotions qui transcendent les barrières et touchent au coeur même de la nature humaine.
En remettant l’être humain au coeur de ses oeuvres et en se focalisant sur ce qu’il a de plus intime et de plus commun, à savoir ses émotions, Nelson Makamo tente de reconnecter les gens. Il prône un nouvel humanisme, qui replacerait l’Homme au coeur du discours historique. Les enfants sont les seuls à pouvoir faire des erreurs, parce qu’en tant qu’être en puissance, ils ont toutes les opportunités face à eux. S’ils se trompent, ils peuvent réessayer. C’est pourquoi, à l’image de ces enfants, la réécriture de l’histoire à une échelle plus humaine correspond à une seconde chance pour construire l’avenir.
Cindy Olohou