Severiano De Heredia fut le premier Ministre des Travaux Publics d’ascendance africaine élu au sein du Gouvernement français. Son parcours humain et politique se distingue par son ouverture et sa modernité.
Severiano De Heredia naît de parents afro-descendants le 8 novembre 1836 à La Havane, Cuba, pays où l’esclavage a atteint des records dans sa durée. Précisément à cette époque, le commerce des produits tropicaux est prospère, et le nombre d’exploitations agricoles de café et de canne à sucre explose sur l’île. Dit “mulâtre”, Severiano fait partie de la faible population d’afro-descendants qui possède le statut d’homme libre, hérité de ses parents. Son patronyme vous rappelle sans doute celui du poète romantique José María De Heredia y Campuzano (1803-39), son oncle, qui fut membre de la communauté secrète et révolutionnaire “Soles y rayos de Bolívar” (“Soleils et rayons de Bolivar”) à seulement 20 ans. Il vous rappelle peut-être celui de son cousin, José-María de Heredia (1842-1905), auteur et poète de renommée également, qui fut un grand influenceur du mouvement parnassien à Paris. Dès l’âge de 9 ans, Severiano s’envole pour la France et, tout jeune, il se distingue lui aussi par son esprit ouvert et vivace. C’est son parrain, Don Ignacio de Heredia y Campuzano, qui l’accompagne dans de longues et fructueuses études à Paris. Il commence à rédiger des poèmes, et reçoit en 1855 le Grand Prix d’Honneur Louis-le-Grand de son lycée.
Reconnaissant envers la France et désireux de s’investir pour elle en retour, il obtient avec fierté la naturalisation française en 1870. Il entame alors une carrière politique, en gagnant tout d’abord la confiance des habitants de son quartier. En 1873, il est élu Conseiller Municipal afin d’améliorer les conditions de vie de ses concitoyens dans la localité des Ternes (17ème arrondissement de Paris). Il devient ensuite Président du Conseil Municipal de Paris, l’équivalent aujourd’hui du “maire”, et poursuivra son ascension politique à l’Assemblée Nationale de 1881 à 1889. En 1887, pendant près de sept mois, il défend activement les intérêts du peuple en tant que Ministre des Travaux Publics. Il obtient par exemple au sein du Conseil des Ministres la réduction de la journée de travail en usine pour les enfants de moins de douze ans. L’évolution professionnelle de Severiano De Heredia est en quelque sorte l’histoire d’un grand réformiste au service de son humanité. D’abord investi au sein du parti de l’Union Républicaine, il se radicalise peu à peu aux côtés des francs-maçons et présidera même la loge maçonnique de “L’Étoile Polaire”. Il défend l’école publique et la laïcité, et se montre favorable aux idées progressistes de l’époque. C’est cette modernité et cette humanité qui ont séduit son public et qui impressionnent encore aujourd’hui, l’ouverture d’un penseur à l’esprit vif à qui Paul Estrade a récemment rendu hommage dans une biographie intitulée Severiano de Heredia : ce mulâtre cubain que Paris fit maire et la République ministre (2011). Le chercheur a rétabli sa véritable histoire en examinant minutieusement les archives de la police de Paris, de la Bibliothèque nationale, du Grand orient de France, ainsi que les archives cubaines.
Mais après sa participation à la Colonial and Indian Exhibition de Londres en 1886, sa popularité s’essouffle rapidement. La scène politique voit monter un nouveau mouvement mené par l’officier général et Ministre de la Guerre Georges Boulanger : le boulangisme. Le parti appelle à une révision de la Constitution et défend une volonté ferme de reconquérir l’Alsace-Lorraine arrachée par l’Allemagne en 1871. Severiano De Heredia, qui n’adhère pas à leur discours belliqueux pour le moins inquiétant, perd son siège à l’Assemblée Nationale au profit du candidat boulangiste, il se retire de la politique. Il se replie alors sur un deuxième domaine où il est influent, la culture, et s’investit dans des recherches sur l’Histoire de la Littérature. Il avait en effet succédé à Victor Hugo, après sa mort en 1885, en tant que président de l’Association Philotechnique de Paris, dont le but est encore aujourd’hui de dispenser des enseignements culturels, techniques et artistiques. Il remplira ses fonctions avec honneur jusqu’à sa mort le 9 février 1901. Il est enterré au cimetière des Batignolles dans le quartier qui l’a vu grandir et qui s’est nourri de son travail mais, malgré un enterrement grandiose avec la présence de hauts politiques et penseurs internationaux, digne des figures emblématiques de la capitale, Severiano de Heredia est très rapidement effacé des archives. Il tombe dans l’oubli et un silence s’installe autour de ses accomplissements qui sortent pourtant de l’ordinaire. Un silence dont les causes restent toujours un grand mystère. Il faudra attendre 2013 pour qu’un voeu soit déposé et adopté à la mairie du 17ème arrondissement de Paris, à l’initiative de l’ex-conseiller d’arrondissement Lamine Ndaw. À la demande de l’actuelle maire de Paris Anne Hidalgo, son nom est associé deux ans plus tard à une rue du quartier, une reconnaissance qui paraît encore limitée compte tenue de l’ampleur du personnage mais qui semble lui ouvrir le chemin vers une renaissance certaine.
Amélia Soria – contributrice
Je viens de lire cet excellent article. Bravo !!!
Merci !!!